C’est au début des années 1990 que le concept d’agent communautaire en santé animale a vu le jour à Madagascar. De 1991 à 1993, AVSF initiait le premier dispositif d’ACSA dans la région d’Amoron’i Mania en formant une dizaine d’ACSA encadrés par un vétérinaire privé.  Face à ces premiers résultats encourageants, d’autres dispositifs furent mis en place dans les régions Androy et Anosy entre 1994 et 2000, toujours avec le soutien d’AVSF. Trois vétérinaires sanitaires privés furent installés et chargés d’encadrer 25 ACSA.  Ces ACSA fournissaient des soins de base, participaient aux campagnes de vaccination et formaient les éleveurs aux bonnes pratiques d’élevage. Fort de ces premières expériences réussies, le modèle d’installation ACSA/Vétérinaire privé fut reproduit dans les régions Vakinankaratra, Vatovavy-Fitovinany, Alaotra Mangoro, et Atsinanana. Au total, 115 ACSA furent formés entre 2004 et 2011, avec le soutien financier de l’UE, de l’AFD et de la Coopération décentralisée entre la région Atsinanana et la Normandie.

Ce passage à l’échelle fut l’occasion pour AVSF de peaufiner la méthodologie de mise en place du dispositif : processus de sélection, co-construction et co-animation de la formation avec les vétérinaires privés et les services de l’élevage, amélioration des manuels de formation, réflexion sur le modèle économique, et établissements de contrats tripartites pour encadrer le travail des ACSA.  La formation était sanctionnée par la remise d’un diplôme local par les services de l’élevage et la délivrance d’un certificat temporaire d’exercice, témoignant ainsi d’une acceptation des ACSA par les services vétérinaires.

Au bilan, les ACSA ont permis d’apporter des soins de proximité auprès de leurs pairs, d’encadrer les pratiques d’utilisation des médicaments, d’améliorer les pratiques d’élevage et de relayer le vétérinaire dans la surveillance épidémiologique. Bien que cette activité ne reste qu’une activité secondaire génératrice de revenus, les ACSA y voient des avantages qui s’étendent au-delà des considérations financières : cela leur permet d’améliorer leur statut social au sein de leur communauté, de gagner en compétences et donc d’améliorer leurs propres productions d’élevage. Pour renforcer encore un peu plus leur pérennité, certains ACSA se sont regroupés en associations, afin de faciliter leur approvisionnement en intrants auprès du vétérinaire privé souvent très éloigné. Ces associations ont aussi permis de faciliter les échanges entre ACSA (entraide, mise en commun de matériel, entente sur les tarifs des prestations et négociations avec les vétérinaires, échanges de pratiques et formation continue) et de développer un lien de confrérie.  Le modèle malgache était un dispositif qui avait prouvé sa pérennité : d’après une évaluation externe menée en 2016, le taux d’abandon des ACSA sur les 8 dernières années ne dépassait pas 20%.  

Face à ces premiers succès, différents acteurs (associations religieuses, ONG nationales et internationales, programmes gouvernementaux) ont commencé à former des ACSA en adaptant la durée et le contenu de formation à leurs objectifs. Cela a abouti à des niveaux de formation très hétérogènes. De plus, le manque d’accompagnement sur le terrain de ces ACSA par les organisations qui les avaient appuyés a facilité le passage de certains dans le secteur informel, proposant des services et produits à prix bas, sans lien avec les vétérinaires ou les services de l’élevage et faisant alors concurrence déloyale aux ACSA correctement formés et encadrés ainsi qu’aux vétérinaires.

Face à cet enjeu de qualité et de contrôle du service de santé animale, le Ministère, la Direction des Services Vétérinaires et AVSF ont mené ensemble entre 2012 et 2018 une action structurante (Projet ASARA sur financement UE), basée sur une mise en œuvre sur le terrain dans le Grand Sud, et visant à harmoniser le dispositif d’ACSA et à renforcer le réseau de santé animale.

Ce processus d’harmonisation a consisté en 4 étapes :

1. L’état des lieux : un état des lieux de la santé animale a été réalisé dans quelques régions représentatives de Madagascar pour identifier les besoins de santé animale des éleveurs et leurs attentes vis-à-vis des ACSA

2. La définition des attributions des ACSA (alors appelés MMAV, ou aides-soignants vétérinaires pour animaux en malgache) : cette étape a tenu compte des professions qui existaient déjà sur le territoire, de la spécificité de ce nouvel agent et de sa valeur ajoutée potentielle. Elle a impliqué :

    • La définition des activités attendues, des compétences requises selon les besoins des éleveurs, des vétérinaires sanitaires et des techniciens des services de l’élevage ;
    • L’élaboration des modules et thématiques de formation, ainsi que des critères d’évaluation à utiliser pendant et après la formation ;
    • La définition du profil d’un ACSA et des critères de sélection

Ces différents chapitres constituent le Référentiel National de Titre de l’APPSA (nom finalement adopté pour les ACSA).

3. La formation des formateurs (=vétérinaires sanitaires) et évaluateurs (=Service Régional de l’Élevage) assurée par l’équipe de l’Équipe Nationale de l’Ingénierie de Formation Agricole et Rurale (ENIFAR), l’Ordre National des Docteurs Vétérinaires (ONDV), et la Direction des Services Vétérinaires (DSV).

4.  L’opérationnalisation : Formation, évaluation et suivi des ACSA, avec mise en place de contrats tripartites impliquant la DRAE, le vétérinaire sanitaire et l’ACSA et définissant les rôles et responsabilités de chacun.

Suite à ce travail, des réajustements se sont avérés nécessaires pour s’adapter à la diversité des situations, comme l’explique Paulin Hyac Rakotoarisoa, ancien Coordinateur Technique d’AVSF Madagascar :

Au cours des formations de formateurs, le Référentiel National de Titre de l’APPSA (RNT) développé a semblé aux vétérinaires sanitaires de certaines régions ne pas être adapté à leurs besoins. La formation de formateurs a donc été suspendue pour laisser place à des ateliers de réévaluation et réécriture du RNT afin de tenir compte des besoins et du contexte de chacune des 23 régions de Madagascar. C’est lors de cette réécriture que le titre MMAV a été changé pour APPSA (Agent de Proximité en Production et Santé Animale) afin de faire toute la place au rôle de ces agents dans la promotion des bonnes pratiques de production animale. La version finale du RNT fut validée à Antsirabe en janvier 2022. Un décret d’application devrait maintenant prochainement voir le jour.

Paulin Hyac Rakotoarisoa

Ancien Coordinateur Technique d'AVSF Madagascar

La collaboration avec les APPSA, c’est du gagnant gagnant ! 

A mon installation en 2021, j’ai rencontré les APPSA exerçant déjà dans ma zone et j’ai poursuivi les collaborations avec ceux qui travaillaient correctement et répondaient notamment aux critères (savoir lire et écrire, résider dans la commune d’intervention, avoir des qualités physiques, morales, et bonne réputation dans la commune). Les APPSA permettent une facilité d’intervention, même dans les zones éloignées de mon périmètre d’intervention (30-40km). Ils assurent aussi la surveillance des maladies et permettent de vérifier les informations sur le terrain. Ils s’approvisionnent auprès de mon cabinet.

Dr Nasetraniavo Rafalimanana

Vétérinaire sanitaire à Manakara

Les vétérinaires sanitaires de Madagascar expriment un besoin de 3000 APPSA sur le territoire

La DSV a toujours accompagné la mise en place des agents communautaires de santé animale, quels que soient les noms qui se sont succédé. Au niveau national, les APPSA font partie du réseau d’épidémio-surveillance des maladies animales à Madagascar (MADSUR), et nous réfléchissons de près à leur intégration dans l’approche One Health.  A Madagascar, il y a 204 vétérinaires sanitaires, qui estiment nécessiter le recrutement de 3000 APPSA, quand seulement 1400 APPSA ont été formés dans tout Madagascar entre 2022 et 2024. Ce besoin exprimé tient compte de leur capacité à les rémunérer ; les besoins des éleveurs sont probablement plus importants encore.

Dr Bettelhein Ramahefasoa

Direceteur des Services Vétérinaires auprès du Ministère de l’Agriculture et de l’Élevage

Si le cas de Madagascar doit inspirer, il reste encore des défis à relever :

    • Renforcement du lien APPSA / vétérinaire sanitaire / services de l’élevage: pour que le modèle perdure, il est nécessaire d’entretenir une bonne communication, des règles de travail et un respect des responsabilités de chacun et des accords équilibrés, notamment sur les prix. L’APPSA doit se conformer au règlement : ne pas aller au-delà de son cahier des charges, et soumettre ses rapports hebdomadaires au vétérinaire sanitaire référent. De son côté, le vétérinaire doit assurer véritablement la formation continue de ses APPSA afin qu’ils maintiennent leurs compétences et actualisent leurs connaissances. Il conviendrait de faire intervenir le ministère de l’Agriculture et de l’Élevage et l’ONVDM dans le contrôle du respect de ses accords et de prévoir des sanctions en cas d’abus de l’une ou l’autre partie.
    • Lutte contre le circuit informel des médicaments: alors que le contrat tripartite engage l’APPSA à s’approvisionner auprès de son vétérinaire sanitaire, certains APPSA s’approvisionnent ailleurs, notamment auprès des dépôts de médicaments clandestins qu’on trouve dans les communes car ils sont plus faciles d’accès et souvent meilleur marché. Ce phénomène détériore les bonnes relations entre APPSA et vétérinaire sanitaire et plus largement menace la santé publique (développement de résistance aux antimicrobiens, produits inefficaces, etc.)
    • Place des Para-professionnels Vétérinaires (PPV) dans le dispositif. En théorie, les PPV bénéficient de modalités d’intervention clairement définies (arrêté n°13069/2012) et sont placés sous l’autorité de l’ONDVM et du Groupement de Para-professionnels Vétérinaires de Madagascar (GPPVM). Il est attendu que les PPV fassent partie du maillage vétérinaire et soient placés sous la direction des vétérinaires sanitaires. Cependant, à l’heure actuelle rares sont les vétérinaires sanitaires qui disposent des ressources suffisantes pour embaucher des PPV. Ainsi, ces derniers se retrouvent à travailler en tant qu’indépendants. Afin d’éviter la mise en place d’acteurs exerçant en dehors des dispositions prévues, il conviendra de réfléchir à l’intégration durable des PPV dans le dispositif vétérinaire sanitaire/APPSA afin de renforcer et compléter l’offre de services aux éleveurs. Dans ce cas, la précision des responsabilités et tâches de chacun deviendra encore plus importante.

Actuellement, AVSF souhaite s’engager à poursuivre son appui auprès du ministère de l’Agriculture et de l’Élevage pour accompagner la mise à l’échelle du dispositif d’APPSA harmonisé dans plusieurs régions de Madagascar. L’objectif est d’installer des dispositifs de santé animale de proximité efficaces et pérennes, au sein desquels les différents acteurs (services de l’élevage, vétérinaires sanitaires, PPV, APPSA) interviennent en synergie et jouent chacun correctement leurs rôles. Les résultats attendus sont in fine de répondre aux besoins des éleveurs pour développer leurs élevages, renforcer la surveillance épidémiologique ainsi que de sécuriser la santé publique.

Article rédigé par Alexia Rondeau, Sabine Patricot, Paulin Hyac.