Au cours de la dernière décennie, l’Ordre National Vétérinaire du Nigeria (VCN) a déployé de nombreux efforts pour normaliser la formation des agents communautaires de santé animale (ACSA). Revenant sur son expérience en tant que consultant principal de ce processus, le Dr Yakubu Yanet Ago partage avec nous ses réflexions sur l’harmonisation de la formation des ACSA au Nigeria. Le Dr Yakubu travaille actuellement en tant que Chef adjoint des Services Vétérinaires au ministère fédéral de l’Agriculture et de la Sécurité alimentaire, département des Services vétérinaires et de lutte contre les parasites, à Abuja, au Nigeria.

 

Dr Yakubu, pouvez-vous nous parler des origines du programme ACSA au Nigéria et de la manière dont vous y avez été impliqué ?

En 2010, alors que j’étais doyen du Centre National de Formation en Élevage à Kachia, j’ai suivi un cours intitulé « Du profil de compétences à la formation basée sur les compétences » à l’Université des Sciences Appliquées Aeres, aux Pays-Bas. Cette expérience m’a permis d’acquérir les compétences nécessaires pour élaborer des programmes de formation basés sur les compétences et évaluer les programmes existants sous cet angle.

C’est pour cette raison qu’en 2016, j’ai été nommé par Palladium International Development Limited dans le cadre du programme Propcom Mai-karfi (financé par UKAID) pour diriger le développement du dispositif d’ACSA au nom de l’Ordre National Vétérinaire du Nigeria (VCN). La mission comprenait le développement de 4 outils :

1. le Curriculum pour ACSA approuvé, qui sert de guide pour déterminer ce qui sera enseigné aux ACSA ;

2. le Guide du formateur des ACSA, qui aide le formateur à dispenser la formation ;

3. le Manuel du participant : il aide l’ACSA pendant et après la formation (une fois sur le terrain). Il contient de nombreuses images permettant aux ACSA d’identifier plus facilement les cas sur le terrain ;

4. le Cahier d’exercices du participant : il aide le formateur pendant la formation des ACSA. Il comprend de nombreuses questions que l’on peut poser aux ACSA après avoir enseigné chaque sujet afin de vérifier qu’ils ont compris les notions enseignées.

Avec le professeur Paul A. Abdu, conseiller en politique, nous avons développé ces documents via un processus de validation inclusif impliquant de nombreuses parties prenantes.

 

À quoi ressemblait le processus de validation ?

À mi-parcours, l’Ordre National Vétérinaire a réuni une douzaine de vétérinaires (dont le chef des services vétérinaires du Nigeria et délégué de l’OMSA) pour examiner le contenu des manuels et évaluer s’il était approprié à la lumière de ce que l’on attend des ACSA. Sur la base de leurs commentaires, nous avons ajusté le contenu et leur avons soumis une deuxième fois les manuels pour confirmer que les modifications avaient été prises en compte. Les manuels finalisés ont été présentés pour validation nationale lors d’un atelier national des parties prenantes qui s’est tenu à l’Institut national de recherche vétérinaire de Vom. Cet atelier a rassemblé 70 acteurs clés du domaine vétérinaire, dont le président et le registraire de l’Ordre, des représentants du monde universitaire, des représentants de l’Association nationale des techniciens en santé animale ainsi que les Directeurs des services vétérinaires de 25 États, chacun accompagné de leur point focal du volet ACSA. 

L’ensemble du processus de développement a duré environ 6 mois. 

 

Quand la première formation a-t-elle eu lieu ?

Une fois les supports validés et approuvés pour utilisation, nous avons pu organiser la première formation de formateurs (ToT). En novembre 2018, j’ai dirigé la première formation de formateurs des ACSA au Nigeria pour 25 Directeurs des services vétérinaires des États et leurs responsables ACSA désignés, qui allaient servir de points focaux pour la mise en œuvre du dispositif d’ACSA dans leur État. Par la suite, j’ai poursuivi les formations de formateurs au niveau des États pour chaque État prêt à accueillir une ToT pour ses vétérinaires, qui à leur tour transmettraient la formation aux ACSA. 

 

Comment les formateurs d’ACSA sont-ils sélectionnés ?

La ToT est destinée aux vétérinaires qui seront formés pour dispenser la formation des ACSA. Pour qu’un ToT ait lieu, le directeur des services vétérinaires de l’État soumet la liste de son personnel à former par l’intermédiaire de son point focal ACSA à l’Ordre Vétérinaire du Nigeria. Ces vétérinaires qui doivent être formés pour devenir formateurs d’ACSA doivent avoir de bonnes connaissances techniques en matière vétérinaire. Ils doivent avoir au moins 5 ans d’expérience post-diplôme (en tant que docteur en médecine vétérinaire), de bonnes compétences en technologies de l’information et communication et leur licence annuelle d’exercice doit être à jour.

 

En quoi consiste la formation des formateurs (ToT)?

La ToT dure 3 jours et porte principalement sur la manière de dispenser la formation aux ACSA C’est très important car les ACSA n’ont pas le même niveau d’éducation que les formateurs, la plupart d’entre eux n’ayant terminé que l’école secondaire. L’accent est donc mis sur la manière de dispenser la formation en appliquant les principes clés de l’apprentissage des adultes, de l’animation de la formation, etc. L’ensemble du programme et le guide du formateur sont couverts en trois jours et à la fin, chaque participant fait une courte présentation au groupe qui simule le public d’ACSA. Après le ToT, chaque participant reçoit un certificat de participation et un guide du formateur. Cela les qualifie pour dispenser la formation aux ACSA dans leur État. 

Cette ToT s’adresse principalement aux fonctionnaires de l’État. Cependant, en 2020 et avec le soutien de la FAO, une formation de formateurs (virtuelle) a été dispensée à 54 universitaires (dont des professeurs, des conférenciers, des maîtres de conférences, etc.) de l’université de Maiduguri, dans l’État de Borno. L’État de Borno est connu pour son cheptel important (bovins et petits ruminants). Avec l’insurrection, il y avait alors de nombreuses personnes déplacées à l’intérieur du pays, du bétail laissé sans soins et en divagation, de nombreux jeunes sans emploi et une sécurité alimentaire précaire. Depuis que cette formation de formateurs a été reconnue par le VCN, ces universitaires font désormais également partie du groupe de formateurs d’ACSA.

Facilitation de la formation sur les ACSA pour 10 vétérinaires sélectionnés du ministère de l’agriculture de l’État de Jigawa, Nigeria (mai 2024)

 

Comment le besoin de formation des ACSA est-il identifié ? 

L’approche pour mettre en œuvre la formation des ACSA est une approche ascendante. La communauté qui a besoin des services des ACSA écrit au directeur des services vétérinaires de leur Etat. Le point focal ACSA recueille les noms des candidats ACSA et les envoie au VCN, qui informe à son tour le Chef des Services Vétérinaires du Nigeria. Le VCN vérifie s’il y a des formateurs disponibles dans l’État, évalue le nombre d’ACSA à former, identifie les installations de formation (ferme modèle, abattoir ou clinique vétérinaire, etc.), le site de formation approprié (par exemple une salle de classe) et approuve la conduite de la formation. 

Les conditions requises pour participer à la formation d’ACSA sont les suivantes : être un adulte capable de prendre des décisions par lui-même ; être capable de lire et de communiquer en anglais et/ou dans la langue locale ; être digne de confiance, engagé, responsable et loyal. Les candidats doivent être résidents de la communauté qui les désigne et être recommandés par la communauté locale. Ils doivent aimer et s’intéresser aux animaux et à leur bien-être, etc.

 

En quoi consiste la formation d’ACSA ?

Le formateur fédéral des ACSA dispense la formation aux ACSA pendant 14 jours, sous la supervision de l’Ordre Vétérinaire et du bureau décentralisé du Chef des Services Vétérinaires du Nigeria. Chaque stagiaire ACSA est exposé à tous les sujets du programme et se voit poser de courtes questions de test tirées du manuel et passe des examens après chaque sujet. Ils sont également exposés à des travaux pratiques tels que la manipulation et la contention des animaux, l’examen clinique des animaux, l’identification des parties du corps des animaux, la gestion des blessures, etc. Les ACSA qui réussissent sont affectés à des vétérinaires superviseurs qui poursuivent désormais officieusement la formation et le mentorat. Il convient de noter ici que la formation des ACSA est dispensée à proximité de leur lieu de résidence, contrairement à celle des formateurs, pour laquelle les formateurs se rendent dans la capitale de leur État.

 

Quelle est l’ampleur du programme ACSA aujourd’hui au Nigéria ?

À ce jour, j’ai animé des ToT dans neuf États : Jigawa, Plateau, Bauchi, Kano, Yobe, Gombe, Borno, Adamawa, Niger, ainsi que dans le Territoire de la Capitale Fédérale (FCT), Abuja. Ces formations ont été mises en œuvre pour le compte du VCN, avec l’appui d’organisations telles que UKAID (Propcom Mai-karfi/Propcom+), EU/LIDISKI/Ikore, Mercy Corps Nigeria, et la FAO Nigéria.

Je dis souvent que les vétérinaires que j’ai formés sont mes « enfants ACSA », et les ACSA qu’ils ont formés sont mes « petits-enfants ACSA ». Selon ce calcul, j’ai plus de 120 enfants et plus de 1 100 petits-enfants qui contribuent activement à la santé animale au Nigéria.

 

Alors que cet entretien touche à sa fin, quels messages clés souhaitez-vous transmettre ? 

Je confirme que le dispositif d’ACSA au Nigeria fournit une source de revenus aux jeunes et aux femmes qui y participent. Le dispositif d’ACSA réduit actuellement le chômage et l’agitation des jeunes au Nigeria et répond à certains des objectifs de développement durable des Nations unies. En outre, il a permis d’améliorer l’accès aux services de santé animale dans les zones reculées ainsi que la sécurité alimentaire.

Je voudrais également souligner la nécessité de réviser régulièrement le cursus de formation. En effet, au stade initial de l’élaboration du cursus, j’avais inclus des questions sur la sécurité alimentaire, la résistance aux antimicrobiens et la pratique ethnovétérinaire. Ces sujets n’ont pas été jugés appropriés pour les ACSA et ont été retirés du cursus au stade de la validation. C’était en 2017. Aujourd’hui, ces sujets sont pertinents, notamment à la lumière de la menace croissante de la résistance aux antimicrobiens (RAM), de la mise en œuvre de l’approche One Health, etc. D’où la nécessité de réviser le cursus et de les y intégrer. À mon avis, un programme devrait idéalement être révisé tous les cinq ans, afin de suivre la tendance des nouveaux enjeux vétérinaires importants. 

 

Entretien realisé par Alexia Rondeau, Gestionnaire des projets ACSA, VSF International